Le 12 novembre dernier, l’Agora a accueilli, dans le cadre de la Fabrique de l’Égalité, une conférence-débat animée par le journaliste et historien Pierre Daum et intitulée « Travailleurs Indochinois. L’empire, l’usine et l’amour en France et en Lorraine ».
Lors de sa conférence, Pierre Daum a présente l’histoire peu connue de l’émigration indochinoise en Lorraine. Celle-ci commence en septembre 1939. Des milliers de Vietnamiens sont alors mobilisés, de gré ou de force, dans les usines d’armement françaises. Le voyage jusqu’à l’Hexagone dure six semaines. Les Indochinois les passent sur des bateaux, confinés dans l’espace dédié aux marchandises. Ils débarquent à Marseille et sont ensuite répartis en compagnies de 250 hommes, travaillant dans des usines de production d’armement français.
Lorsque la France est défaite en 1940, une longue période d’internement commence pour ces travailleurs. Ils vivent dans un système semi-carcéral : ils travaillent la journée mais sont obligés de rentrer dans leur camps après. Ils ont le droit de sortir uniquement les dimanches. Les usines d’armement étant alors fermées, des contrats sont passés entre le ministère du travail et les entreprises qui ont besoin de main d’oeuvre. Toutefois, l’État français ne reversera jamais leurs salaires à ces travailleurs indochinois.
Indépendance et tensions politiques
En 1944, lors de la libération, ces derniers auraient dû être renvoyés chez eux. Seulement, le 2 septembre 1945, Hô Chi Minh prononce un discours proclamant l’indépendance du Vietnam. De Gaulle la refuse et monte une armée pour mater ces envies de liberté. Tous les bateaux allant vers l’Orient sont alors réquisitionnés pour les troupes françaises. Les Vietnamiens se retrouvent donc bloqués en France sans pouvoir être embauchés pour gagner leur vie.
En 1948, les tensions augmentent au sein de la communauté vietnamienne : les conflits entre stalinistes et trotskistes prennent de l’ampleur dans les camps. À tel point que ces travailleurs sont considérés comme une population dangereuse. La France décide alors de retenir des places dans les bateaux allant vers le Vietnam pour les rapatrier. Entre 2000 et 3000 hommes décident toutefois de rester parce qu’ils ont rencontré des Françaises avec qui ils ont décidé de faire leur vie.
« L’histoire de France a fabriqué des inégalités »
L’historien et journaliste, Pierre Daum, est parti à la rencontre des veuves et des enfants de ces Vietnamiens. « Un seul de ces travailleurs est encore en vie. Il vient de fêter ses 100 ans ! ». Il publie alors un premier ouvrage sur cette immigration indochinoise en France, en 2009, « Immigrés de force : Les travailleurs indochinois en France (1939 – 1952) ».
Il s’intéresse ensuite aux travailleurs qui ont été envoyés en Lorraine, en 1945, pour travailler sur un des grands sites industriels de l’époque : « ils étaient entre 2000 et 3000. Plusieurs centaines sont restés sur le sol lorrain après avoir fait leur vie avec des Françaises ». Si tous sont morts, Pierre Daum a pu retrouver les veuves et les enfants de ces hommes. « L’histoire de l’immigration en Lorraine est très riche mais il manquait cette mémoire indochinoise. On a peu de trace de cette présence vietnamienne », regrette l’historien, qui publie cette année, avec Ysé Tran, « L’usine, l’empire et l’amour: “Travailleurs indochinois” en France et en Lorraine (1939-2019) ».
Pour Selima Saadi, adjointe au maire de Metz en charge de la Politique de la ville, proposer cette conférence, dans le cadre de la Fabrique de l’Égalité, était important : « il faut avoir conscience que l’histoire de France a fabriqué des inégalités. La colonisation a été brutale et le travail de reconnaissance doit continuer ».