La plateforme Discord était en passe de devenir la place to be pour les adolescents. Avec le confinement, elle devient le must have du Web éducatif. Mais cette plateforme, pas plus qu’une autre, ne se suffit à elle-même et quelques prérequis sont nécessaires à sa bonne utilisation. Bornybuzz est parti à la rencontre de professionnels qui l’utilisent, avant et depuis le confinement, afin d’en comprendre toutes les subtilités.

Exemples d’utilisations

Le Discord autogéré d’un local jeune

Dans cette première situation, ce sont les adolescents fréquentant un local jeune qui sont à l’initiative de la création du serveur. La motivation à le créer était de pouvoir garder le contact pendant le confinement. L’animateur a pu compter sur le soutien de jeunes gamers qui connaissaient la plateforme et son utilisation. Ce sont donc eux qui ont pris en charge sa création et son animation. Le professionnel déclare avoir alors fait « un pas de côté ». Et selon lui, c’est le fait d’avoir laissé l’autonomie aux adolescents qui a permis au Discord de l’association de fonctionner. Les créateurs ont su accueillir et accompagner les nouveaux arrivants. En somme, nous sommes dans une situation de transmission de pair à pair.

Discord en formation

Dans la deuxième situation, Discord est utilisé pour favoriser les échanges entre formateurs et apprenants. Ici, le cadre est construit et les contenus prédéterminés. En revanche, l’administration est partagée avec les apprenants qui ajoutent ce qui leur semble pertinent. Le formateur reconnaît ne pas aimer les règles préétablies et préfère que ces dernières émanent du collectif. Comme dans le premier exemple, il y a une forme de modération par les pairs. Ainsi, quand un inscrit dit « désinscrivez-moi parce que j’ai trop de notifications sans intérêt », cela replace le collectif face à lui-même. Une fois, dans un groupe, il a été nécessaire de créer un canal dédié au bordel. Finalement, les règles de modération s’inventent collectivement lorsque le besoin s’en fait sentir.  Un serveur est créé par session de formation, afin de garder un contact avec les apprenants et pour qu’ils continuent à échanger entre eux.

Discord miroir institutionnel

Une association utilise Discord pour permettre à ses administrateurs, professionnels et usagers d’échanger et pour ainsi poursuivre la vie associative. Les catégories sont le miroir de l’association : bureau, conseil d’administration, secteurs (musique, numérique, animation), projets. Pour le secteur «Numérique», l’association réalise les activités à destination du public (adultes, seniors, enfants / ados) pendant le confinement. Ici, le modèle est descendant : les usagers / adhérents ne maîtrisent pas la création des catégories, par contre, ils ont leur autonomie à l’intérieur de chacune. Ils peuvent aussi être force de proposition pour les aménagements à apporter à l’outil, afin qu’il réponde au mieux à leurs besoins. La raison de la fréquentation de ce Discord est l’attachement des adhérents à la structure et aux personnels. Mais aussi parce l’environnement est facilement maîtrisable par tous. 

La communauté d’intérêt est gravée dans son ADN.

Les gamers parlent aux gamers

Dans cette situation, Discord est un outil de travail du médiateur numérique / promeneur du net au même titre qu’Instagram, Snapchat et les autres. Il permet au professionnel de garder le contact avec des jeunes parfois éloignés géographiquement. C’est alors un moyen pour « lutter contre l’isolement social », un objectif éducatif poursuivit par le médiateur. Deux types de publics se croisent sur ce Discord : ceux rencontrés lors des interventions en collège ou lycée et ceux qui fréquentent les ateliers multimédia et développement de jeux vidéo. Étant lui-même gamer et le public l’étant également, la mise en place de Discord s’est imposée d’elle-même. Étant donné que c’est un outil que tous maîtrisaient au départ, une communauté s’est ainsi créée où les nouveaux arrivants apprennent les us et coutumes par l’expérience au contact des anciens, avec des recadrages si besoin. Des moqueries, insultes ou des mèmes peuvent toujours apparaître. Le professionnel a, par ailleurs, créé des tutoriels. Sur le Discord se rencontrent des jeunes de 10 à 25 ans et tout se passe bien. Avec le confinement est venue l’opportunité d’animer des ateliers de développement de jeu vidéo à distance. 

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À la bonne franquette

Dans cette situation, la création du Discord, avant le confinement, était une initiative des jeunes. Les catégories ont été créées collectivement. En revanche, l’animateur s’occupe de la programmation des activités numériques. Selon lui, les objectifs sont de « maintenir le lien avec les jeunes », de « lutter contre l’isolement social », « d’accompagner leurs initiatives » et de « s’amuser tout simplement ». Le fait que les utilisateurs soient des jeunes fréquentant la structure facilite la modération : il n’y a pas d’anonymat et tout le monde se connaît.

Au-delà des fonctionnalités

Suite au confinement, des ateliers qui devaient être réalisés en présentiel ont migré sur Discord. Il s’agissait d’ateliers (vie privée, outils collaboratifs, utilisation de Scratch, etc.) plutôt à destination de professionnels (médiateurs numériques, bibliothécaires, animateurs, etc.) Cependant, la communication sur les réseaux sociaux a fait que se sont croisés des publics variés, dont des enfants. En plus des fonctionnalités visioconférence et partage d’écran qui étaient les motivations initiales à utiliser Discord, des salons vocaux et textuels ont été mis en place pour partager des ressources, ainsi que récupérer des questions et commentaires afin que les formations ne soient pas trop descendantes. Il n’y a pas à proprement parler de sentiment d’appartenance à une communauté mais les échanges sont cordiaux et bienveillants. Selon le modérateur, le fait d’avoir des utilisateurs habitués permet une acculturation des nouveaux arrivants. 

Au bonheur du geek

Dans une association qui accueille beaucoup de services civiques, au-delà de l’aspect communauté également mentionné, ce sont les fonctionnalités de l’application qui intéressent, comme par exemple la possibilité de paramétrer les rôles afin que certains canaux ne soient visibles que par les professionnels, ou l’installation de “bot” des applications qui permettent, par exemple, de créer de l’interactivité avec les autres réseaux sociaux, diffuser de la musique comme dans une webradio, ou encore créer des quizz pour plus de convivialité.

Un peu de culture numérique

Pour comprendre le phénomène, il faut avoir à l’esprit que Discord diffère des réseaux sociaux habituellement utilisés. Sauf que, plutôt qu’une innovation, il consisterait à un retour aux sources.

La timeline ci-dessous court des années 60 du XXème siècle à nos jours. Se remettre en tête l’évolution de la communication en ligne permettra de mieux comprendre ce qui va suivre.

Fait avec Padlet

Un subtil mélange entre le forum et les dernières évolutions des messageries instantanées. 

Le forum 

En informatique, un forum est un espace de discussion public. Les discussions y sont archivées, ce qui permet une communication asynchrone, c’est-à-dire que les utilisateurs n’ont pas besoin d’être connectés en même temps.

La notion de forum est aussi associée à celle de communauté. Des personnes partageant des intérêts communs s’y retrouvent pour échanger. Ainsi, un utilisateur ouvre une discussion ou pose une question et les autres membres lui répondent. Les échanges sont alors stockés et indexés afin que les autres membres de la communauté puissent retrouver l’information et n’aient, en théorie, pas besoin de reposer la question. Sauf que le plaisir de l’échange prend souvent le pas sur l’intelligence collective. À moins qu’il ne s’agisse simplement de fainéantise…

Le forum est une des plus anciennes applications disponibles sur internet. Au sein des forums se sont développés des us et coutumes, des règles implicites, des attitudes générationnelles et des légendes.

Les utilisateurs de forums ont rapidement compris qu’échanger en ligne à plusieurs peut s’avérer compliqué, c’est pour cela que l’on retrouve souvent des chartes d’utilisation et un ou plusieurs modérateurs. Un modérateur veille au respect de la charte, ainsi qu’à limiter les tensions éventuelles entre participants. Il peut aussi être amené à bannir les contrevenants, les récidivistes et les trolls.

La messagerie instantanée

La messagerie instantanée ou chat (anglicisme pour « bavardage », francisé en tchat), permet l’échange instantané entre plusieurs personnes, en individuel ou en groupe. 

La messagerie instantanée existe aussi depuis les débuts d’internet. Si, au départ, elle ne permettait que l’échange de textes, d’hyperliens et de fichiers, l’évolution des technologies a permis ensuite les échanges par la voix et la vidéo. De fait, les messageries instantanées se sont rapprochées des fonctionnalités du téléphone jusqu’à les supplanter.

Contrairement au forum, ce moyen de communication permet un dialogue interactif (synchrone) entre les utilisateurs. Autre différence : les conversations ne sont  pas archivées, quoique certaines plateformes conservent l’historique des conversations. Pour retrouver une information, il est alors nécessaire de remonter le fil des discussions. Elles sont aussi généralement privées, quoique les anciens se rappelleront de sessions de tchat publiques avec de nombreux utilisateurs et sans aucune modération. À l’époque, on ne parlait pas de cyberharcèlement mais de communication en ligne. Le fait que les internautes se connectent grâce à un pseudonyme protégeait leur identité.

Si vous souhaitez promouvoir votre activité ou votre structure, ce n’est pas le bon outil.

Discord : un anti-réseau social ?

Discord est né en 2015 avec pour objectif de permettre aux utilisateurs de communiquer par VoIP (par la voix). Il est d’abord utilisé par les joueurs de jeux vidéo car il consomme très peu de ressources informatiques, mais d’autres communautés se sont rapidement mises à l’utiliser. En 2019, Discord comptait 250 millions d’utilisateurs (autant que Fortnite !).

Discord est basé sur un principe de serveurs. Chaque utilisateur peut créer un ou plusieurs serveurs gratuitement et en devient alors l’administrateur. Pour rejoindre un serveur, il faut généralement disposer du lien qui fait office d’invitation, quoiqu’il y ait un annuaire interne à la plateforme. Mais, contrairement à Facebook, le site ne fait pas de recommandations. Se connecter à un serveur est alors une démarche volontaire, ce qui fait de Discord un environnement relativement protégé, en tout cas propice à l’entre-soi, à la communauté.

Sur leurs serveurs, les administrateurs peuvent créer des salons vocaux ou textuels et définir des permissions pour chaque utilisateur. Mais Discord propose d’autres fonctionnalités qui expliquent qu’il est investi par les enseignants et les formateurs. En effet, la plateforme propose des appels privés ou en groupe entre les membres, le partage d’écran et la visioconférence. En somme, Discord constitue un subtil mélange entre le forum et les dernières évolutions des messageries instantanées, ainsi que du Web 2.0. 

Ainsi, contrairement aux réseaux sociaux comme Facebook, Instagram ou Twitter, Discord ne fonde pas son principe sur l’influence sociale. Et a contrario des applications comme Facebook Messenger, Snapchat ou Whatsapp, il ne se base pas sur une utilisation individuelle. Si les autres réseaux sociaux ont implanté leurs fonctionnalités pour ne pas être en reste vis à vis de la concurrence, Discord est hybride par nature. Autrement dit, si les autres réseaux permettent également de créer des groupes ou de publier des stories publiques, sur Discord, la notion de communauté d’intérêt est gravée dans son ADN. Cela vient du fait qu’il ait initialement été conçu pour les gamers.

Communauté

Un autre aspect qui le différencie des autres réseaux sociaux est qu’à sa création, le serveur est une tabula rasa, un espace vierge qu’il va falloir construire collectivement ou en tenant compte des besoins de sa communauté. Le fait qu’on y investisse du temps et de la réflexion, que l’on prenne soin de le configurer de manière à ce que chacun y trouve son compte créé en lien affectif envers le serveur, mais aussi un lien entre les membres de la communauté. Les utilisateurs évoluent alors, soit dans la maison qu’ils ont construits ensemble, soit comme s’ils étaient invités chez quelqu’un. Une forme de respect s’impose alors naturellement. Respect de l’espace qui héberge ses membres et respect de celui ou ceux qui l’ont fabriqué à partir de rien.

Motivation

Cependant, il n’y a pas que la bienveillance qui compte. Apprendre, stocker de l’information, créer ou conserver un lien sont autant de motivations. Il y a la motivation intrinsèque du plaisir à se retrouver entre gens de bonne compagnie ou la satisfaction d’avoir participé à la création de quelque chose et la motivation extrinsèque d’aboutir à un objectif en commun. L’un ne va pas sans l’autre. Il assez courant que, lorsque les objectifs divergent, la communauté se disloque. De même, si un individu n’éprouve pas de plaisir, il quitte le groupe ou essaie d’en perturber la tranquillité. Mais, dans ce cas-là, le modérateur est là pour le tempérer ou le bannir. À moins que la communauté ne décide alors de se doter d’un salon pour ce genre de situations, qui s’appellerait «blabla» ou «défouloir». Il ne faut alors jamais oublier que les premiers internautes aimaient bien rigoler. Parce que le rire est une des émotions naturellement transmissibles.

Intelligence collective

Alors que, sur la plupart des autres réseaux sociaux, la gestion du profil est individuelle et que les briques qui constituent le mur émanent de la personne (ce que j’ai fait, ce que je j’aime, ce que je partage, etc.), sur Discord, chacun est invité à apporter sa pierre à l’édifice. Comme dans les tchats d’antan, le serveur est composé de salons. Un salon est la pièce de la maison dédiée à la réception des invités, mais au XIXème siècle, le salon était un rassemblement d’intellectuels. On parlait de salon de conversation ou de salon littéraire. Autrement dit, Discord privilégie la conversation par rapport à la communication et préfère le faire ensemble au marketing, ce qui est clairement à contre courant de la tendance actuelle ! Aussi, il n’est pas surprenant qu’avec le confinement, au-delà des fonctionnalités comme la visioconférence ou le partage d’écran, il ait suscité autant d’intérêt chez ceux qui ont ressenti le besoin de rester en contact, comme chez ceux qui ont eu besoin de regrouper leurs élèves ou leurs apprenants.

Si vous voulez travailler sur la cohésion du groupe et l’autonomie des publics, Discord est fait pour vous.

Intérêt pédagogique 

Pair à pair et inversion de la relation éducative

Parce qu’il est bien connu des gamers et que des adolescents en ont un usage personnel, Discord est un outil intéressant pour favoriser les échanges de pair à pair. Si vous n’y connaissez rien, ce n’est pas grave. La mise en place du serveur sera l’occasion d’inverser la relation éducative. Laissez les adolescents prendre les choses en mains et laissez les vous apprendre, ça ne pourra que renforcer leur estime de soi.

Communauté et vivre ensemble

Parce qu’il invite à l’autogestion et à la réalisation d’un objectif commun, la création du serveur incite à prendre en considération les uns et les autres. Discord devient alors un moyen de travailler la bienveillance et l’empathie

Sur un volet citoyenneté, il permet aussi de réfléchir sur l’utilité des règles nécessaires à la vie en société. 

N’hésitez pas à permuter les rôles, en invitant chacun de s’initier à l’administration et à la modération. Les jeunes comprendront alors que la vie en collectivité n’est pas acquise d’emblée, que le fonctionnement démocratique nécessite des règles, que celles-ci doivent être écrites et approuvées par tous (tutoriels, charte d’utilisation…). De plus, ils comprendront que l’exercice du pouvoir nécessite à la fois écoute et autorité, car comme l’a dit Benjamin Parker, l’oncle de Spiderman :

Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.

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Culture numérique et civisme en ligne

Que votre public ne soit pas habitué aux communautés en ligne n’est pas un problème. Il suffit d’un noyau d’initiés pour instaurer des règles et les transmettre de manière implicite. C’est comme cela que se transmet la culture numérique : du partage et de la coopération. Les plus aguerris se font toujours un plaisir d’acculturer les nouveaux venus.

En effectuant le bilan de votre aventure collective, il vous sera alors possible de comparer cette expérience utilisateur à celles vécues sur les autres réseaux sociaux. Les adolescents comprendront d’eux-mêmes les choses qui ne vont pas dans leurs usages personnels et seront plus à même de modifier leur comportement.

Projets et ateliers 

Proposer des ateliers en ligne et travailler des projets de manière asynchrone permet aux adolescents de s’impliquer tout en gérant leur emploi du temps. Ils ont moins besoin de se rendre disponibles, ce qui n’est pas toujours évident pour eux. Cette façon de fonctionner leur permet de se responsabiliser et de gagner en autonomie. Cela permet également de consacrer les rencontres en présentiel à la convivialité et à l’auto-satisfaction.

L’éducatif d’abord !

Si vous êtes une structure socio-éducative et que vous souhaitez promouvoir votre activité ou votre structure, Discord n’est pas le bon outil. Par contre, si vous voulez travailler sur la cohésion du groupe et l’autonomie des publics, il semble que cet outil soit fait pour vous. Alors, Do it yourself !

Ndlr : On parle beaucoup de Discord et de protection des données. L’équipe Check news de Libération a publié un article sur la question.

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